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Avant d’aller me promener sur le quai, je fais un détour au centre-ville en espérant revoir mon ancien lycée. 

Pour y parvenir, je dois traverser plusieurs petites ruelles mais une seule me fera revivre le passé. Ce n’est qu’une ruelle mais tant de souvenirs y ont été créés. Je me souviens qu’on s’y cachait pour fumer nos premières clopes et embrasser nos premiers copains.

​

Devant moi se dresse le bâtiment. Je reconnais de suite les environs, rien n’a changé. 

Dans ma tête je revis quelques scènes. Et je revois mes amies de l’époque. Je nous revois devant l’entrée en train de parler, rire, et échanger nos premières impressions sur les profs. Notamment notre prof de math que l’on trouvait charmant. Puis, je nous revois en train de discuter de notre avenir, de nos amours d’été, de nos groupes de musique préférés, de nos angoisses à l’approche d’un examen. Et je revois Mya, complètement excitée, nous parler de sa nouvelle coupe de cheveux. Je revois cette bande de lycéennes parler de leurs promesses ; celle de ne jamais nous quitter. 

​

Nous ne l’avons pas tenue. Certaines ont quitté Sète, d’autres sont restées. Mais le contact a pris fin rapidement.

À ma majorité, je suis partie continuer mes études de commerces à Paris où j’ai rencontré Benjamin mon mari. J’ai été prise dans un tourbillon dans lequel s’est mêlé ; étude, carrière, mariage, et enfants. Je n’ai jamais repensé à revenir ni à recontacter mes anciennes amies.

 

Aujourd’hui c’est encore une belle journée ensoleillée. Je me promène sur le quai, seule. Les enfants sont avec leurs potes, je dois les récupérer plus tard.

En face de moi, je vois deux jeunes femmes qui au fur et à mesure que j’approche m’observent étrangement. J’ai l’impression qu’elles complotent, leurs visages sont rapprochés l’une de l’autre, elles parlent en regardant dans ma direction. Elles parlent de moi, c’est évident.

Mais qui sont-elles ?

​

La blonde me fait de grands signes et s’approche tout sourire tandis que la brune suit son amie sans extravagance. Elle reste à distance à quelques pas derrière.

Quand la blonde est à deux mètres de moi, je crois la reconnaître mais très vite mes pensées sont détournées par son excentricité. Je me concentre sur ses premiers mots :

— Madeleine ! Mais depuis quand es-tu là ? Oh my god ! 

Merde, qui est-ce ?

La brune nous rejoint, lentement. Elle n’a pas l’air emballé de faire ma connaissance ou bien de me revoir si toutefois on se connaît déjà.

Je souris bêtement, mal à l’aise, et fronce les sourcils. Si avec cette tête elle n’a pas compris…

— Tu ne me reconnais pas ?

Exact.

Je hausse les épaules et fais non de la tête sans sortir un mot.

— C’est moi, Mya !  Et là, c’est Chloé, continue-t-elle en pointant du doigt l’intéressée.

Mon cerveau est en pleine réflexion. Je farfouille dans ma tête pour tenter d’y dégoter quelques indices.

Je la dévisage ainsi que Chloé et c’est seulement au bout de quelques secondes que tout me revient sans le moindre effort :

— Mya, du lycée ! ! 

— Oui ! ! Tu te souviens de moi ?

Dans ma mémoire, je retrace la vie de ce personnage fantastique ; la jeune Mya. Complètement cocasse, elle a su à de nombreuses reprises me redonner la pêche et le sourire.

Elle a changé. Ses cheveux sont plus blonds, et plus longs. Elle est devenue beaucoup plus fine, moins boutonneuse, carrément canon !

Chloé se poste à côté d’elle, face à moi :

— Salut.

​

Tout me revient à son sujet également. Autrefois vilaine et prétentieuse. Je crois qu’elle n’a pas vraiment changé, j’aurais dû la reconnaître à son air dédaigneux. Elle est juste plus grande qu’avant sinon ce sont les mêmes cheveux, même silhouette, même air sévère, et snob.

Qu’est-ce qu’une fille comme Mya fait avec une fille comme elle ?

Elle ébauche un petit sourire en coin.

Je rectifie ; elle a changé ! À l’époque, c’est à peine si elle savait sourire.

​

Mya s’approche vivement de moi, me prend les deux épaules pour me ramener à elle, et m’embrasse ; une bise, deux bises, trois bises.

— Qu’est-ce que c’est chouette de te revoir, Jesuus Chriist ! ! dit-elle en Anglais. Comment vas-tu depuis tout ce temps ?

Je suis surprise par son enjouement, et touchée à la fois que ma présence à Sète lui fasse autant d’effet !

Moi qui suis plus réservée, et discrète, je ne saute pas de joie mais je n’en suis pas moins heureuse de la revoir et lui demande d’un air posé :

— Et bien ça va plutôt bien et toi qu’est-ce que tu racontes ?

— Ben que tu n’as pas changé, remarque-t-elle. Oh fan des pieds ! je t’ai reconnue au premier coup d’œil, et tu as vu moi ?

Elle pivote sur elle-même pour me montrer sa nouvelle silhouette.

— Tu ne trouves pas que j’ai changé, tu te rappelles comme j’étais big autrefois ? 

Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle enchaîne immédiatement et franchement ça m’arrange parce que je n’ose pas lui répondre ; oui, je me souviens très bien comment tu étais potelée.

— Alors moi, je suis partie au States pendant trois ans vivre avec mon lover de l’époque Marlon. Il était Américain, je l’ai rencontré ici même, il était en France pour quelques semaines de vacances et hop ; le coup de foudre ! Je suis partie à Los Angeles où j’en ai profité pour améliorer la langue, puis un jour on s’est séparé et je suis revenue vivre à Sète où depuis j’exerce le métier d’assistante maternelle.

Elle frétille de joie et se frotte les mains :

— Et toi ? Dis-moi, tout, tout, tout ! ! Je veux tout savoir, où habites-tu ? Où travailles-tu ? Et-tu marié ? Des enfants ? Poisson rouge ? 

Encore une fois elle ne me laisse pas répondre, elle n’a pas changé de ce côté-là, mais cela ne m’a jamais dérangée. Elle est comme ça. 

— Moi depuis Marlon, je suis restée célibataire et toujours pas d’enfants, rien du tout. En tout cas pour le moment. Je suis toujours à la recherche du boyfriend idéal. Parce que des enfants ! Oh que oui j’aimerais en avoir, j’te dis pas ! Mais à chaque fois que je rencontre un homme et que je lui dis que j’en veux au moins cinq, le mec ne donne plus de nouvelle ensuite. Étrange, non ? tu crois que ça leur fait peur quand je leur précise ce détail ? Enfin, bref, quoi qu’il en soit j’ai intérêt à me grouiller de trouver l’homme idéal si je ne veux pas finir célibataire forever, parce qu’entre toi et moi, c’est bien parti pour. Assez parlé de moi. Toi alors ? demande-t-elle presque essoufflée.

Elle est enfin disposée à m’écouter pour de bon.

— Et bien pour ma part, pas de poisson rouge mais un chien Augustin, divorcée et célibataire. Mais en y réfléchissant, j’aurais dû choisir le vertébré plutôt que le mari. Sinon, je suis attachée commerciale, et je vis dans la région parisienne avec mes deux enfants. 

— Oh woaw ! Tu gères ! Mère célibataire, ça ne doit pas être easy tous les jours, dis-moi ça te dirait qu’on se revoit. Moi, j’te dis pas Madely comme ça me ferait hyper plaisir. 

Je me souviens qu’à l’époque tout le lycée m’appeler par ce surnom et je ne peux pas m’empêcher d’exprimer un petit sourire nostalgique. Touchée, qu’elle se souvienne.

Chloé nous écoute avec attention jusqu’au moment où elle décide de nous interrompt :

— Bon, c’était super de te revoir Madeleine mais là tu vois on doit y aller, tu viens Mya ?

Mya l’ignore, et continue de me parler : 

— Tiens, je te laisse mon numéro, et tu m’appelles quand tu veux.

Elle farfouille dans son sac et récupère un petit morceau de papier et un stylo. Elle écrit ses coordonnées et me donne le tout tandis que Chloé continue à souffler de rage.

— Alors Mya, tu te grouilles ?

— Deux minutes papillon ! 

Mya reprend avec moi en roulant des yeux pour me faire comprendre que Chloé l’ennuie :

— Je suis contente de t’avoir revu Madely, on a plein de choses à se raconter, tu m’appelles hein ? J’espère te revoir bientôt ma biche.

— Je n’y manquerai pas.

Elle se rabat une nouvelle fois sur moi et m’embrasse chaleureusement tandis que Chloé regarde derrière elle :

— Tiens il est là, tu te dépêches un peu Mya.

Mya ronchonne et me siffle à l’oreille :

— Elle ne me lâche pas celle-là…

Je ne comprends pas très bien ce que ça veut dire étant donné qu’elles sont amies, je me contente de lui sourire et lui promets une dernière fois de très vite l’appeler ce qu’elle apprécie largement :

— Hâte de te revoir !

​

Toutes les deux tournent les talons, Chloé ne me dit même pas au revoir, trop absorbée par le jeune homme qui avance dans sa direction. Une fois à sa hauteur, elle se jette dans ses bras et l’enlace.

Le jeune homme en question me sourit, un sourire qui s’attarde. Quand Chloé s’en aperçoit, elle se tourne pour vérifier ce qui attire autant le bel homme, elle me jette un regard avec dégoût au passage quand elle s’aperçoit qu’il s’agit de moi et le prend par le bras pour le détourner de ma direction. 

Il me semble l’avoir reconnu mais je ne suis sûre de rien. 

Serait-ce le même homme avec qui mémé discutait l’autre jour ?

​

Trop mal à l’aise je me retourne immédiatement et continue mon chemin en sens inverse, son regard m’a troublée pour je ne sais quelle raison et je n’ose pas passer devant lui.

Je contourne les restaurants pour rejoindre le centre-ville où j’ai garé ma voiture en repensant à ce qui a bien pu me perturber autant chez cet inconnu… 

 

Le lendemain comme promis j’appelle Mya, elle me propose de nous revoir dans un café du centre-ville où nous avions l’habitude d’aller à l’époque du lycée. 

Ça me fait tout drôle de revoir le lieu, absolument rien n’a changé pourtant des décennies sont passées.

Mon amie et moi rions comme autrefois en toute simplicité et malgré le temps passé nous retrouvons vite notre complicité. C’est amusant de voir que certaines choses ne vieillissent pas. 

Chacune de notre côté nous avons grandi, appris, mûri, traversé des déceptions, des moments drôles et compliqués mais nos fous rires n’ont pas changé, nous sommes redevenues en un simple rendez-vous ces amis lycéennes innocentes et amusantes. 

​

Ensemble, nos problèmes se géraient avec facilité. Les faiblesses de l’une s’effaçaient avec la force de l’autre. Mya et moi, ce n’était qu’entraide et amitié, et souvent la vie n’était que plaisir et distraction. C’était les copains d’abord et les soucis pour autrui. 

Alors que cette union aurait dû se poursuivre, comme nous nous l’étions promises, nous avons vécu ces moments forts de la vie, séparément.

— Ça aurait été tellement plus simple de vivre ma rupture avec Marlon si tu avais été à mes côtés ! J’avais besoin d’une amie comme toi, et je me suis retrouvée seule à l’autre bout de la Terre sans avoir personne à qui parler, j’te dis pas comme ça a été difficult. 

— Et moi, mon divorce, ça a été atroce, j’ai cru que jamais je ne m’en remettrais. Si tu avais été là, tu aurais trouvé les bons mots.

— Ça, c’est sûr. 

​

Elle me raconte comment les autres filles de la bande ont évolué ; une copine est devenue avocate à la cour de Lyon, une autre s’est mariée à un vrai Bastard comme elle dit, une autre vie toujours à Sète, une autre a continué ses études pour être professeur dans le lycée où nous étions et enfin une de nos copines tient une boutique de fringue en ville.

— Elle me fait de super prix, je t’y emmène.

Après avoir revécu une partie de notre jeunesse, Mya m’embarque avec elle nouant mon bras au sien ; direction la boutique.

Quand Béa me revoit, le choc est de taille. Quelques clientes circulent dans le magasin, rien qui ne l’empêche de s’exprimer :

— Toi ! ! Ici ! ! Mais je rêve ! !

Béa me prend les deux joues et m’embrasse les pommettes, c’est incroyable comme elle n’a pas pris une ride !

— On m’a dit que tu avais épousé un riche homme d’affaires et que tu ne comptais pas revenir dans la région et te voilà ! hurle-t-elle d’excitation.

Quelques clientes sourient à nos retrouvailles explosives.

— Oui, enfin… Je suis venue pour quelques semaines de congés mais je vis toujours en région Parisienne.

— Tu vas repartir ? Quel dommage, on vient à peine de se retrouver.

Trop de clientes remplissent la boutique, on ne peut plus bavarder alors nous décidons de reporter ce bavardage à un autre jour.

C'est-à-dire ; demain midi.

 

La promesse de nous revoir a été tenue. Assises toutes les trois dans le restaurant, nous ressassons le passé de chacune. Ce qui nous fait sourire puisqu'avant nos discussions étaient basées sur le futur et ce que nous avions l’intention d’en faire.

​

Béa, rêvait de devenir vétérinaire, mais elle a dû arrêter ses études lorsqu’elle a eu ses jumeaux puis son troisième, et quatrième enfant dans la foulée. Aujourd’hui, elle gère une boutique de fringue depuis cinq ans et ça marche malgré la concurrence d’internet.

Elle est satisfaite de pouvoir gérer son temps comme elle le souhaite, et se sent complètement épanouie.

Elle vit avec le même homme depuis toujours. Quand elle m’apprend qu’elle a épousé Julien notre copain du lycée, je ne peux pas m’empêcher de cracher un grand :

— Wooaaww ! ! Vous étiez fou amoureux, mais on ne croyait pas que vous deux c’était pour la vie, vous étiez si jeune.

— Et bien tu vois, il y a des histoires qui n’ont pas toujours de fin. Du moins, je l’espère. Julien et moi sommes très proches et partageons beaucoup de passions ensemble. D’ailleurs, il est jouteur et trois de mes fils aussi. À la maison, ça ne parle que de ça, en plus il y a bientôt les joutes de la Saint-Louis. Et mes hommes en sont complètement dingues. Moi, c’est un moment fort que je partage avec eux. Dans ma boutique, j’ai accroché leurs pavois, c’est dire !

— Ah moi les histoires comme ça, je les aime, dit joyeusement Mya. C’est tellement rare mais c’est vrai quand on vous voit on a l’impression que vos yeux pétillent et que vos membres frissonnent d’amour l’un pour l’autre.

— Je sais, c’est fou mais mon cœur s’accélère comme au premier jour quand monsieur me tourne autour. J’ai une vie à cent à l’heure mais c’est une vie qui déborde d’amour. Je kiffe grave comme dit souvent mon plus jeune.

Je suis très heureuse de voir que tout baigne pour mes amies. 

Je leur raconte à mon tour ma vie tourmentée depuis le divorce et elles me répondent que je vis trop dans le stress.

— Avoir une activité c’est bien, mais ça peut aussi te bousiller, trop de travail peut tuer. Et ne pas en avoir aussi. En fait, c’est comme tout, il faut trouver le juste milieu, l’équilibre parfait, me conseille sagement Béa.

Je lui explique que je suis d’accord avec elle, c’est pourquoi à mon retour je commencerai à ralentir le pas.

— Moi, c’est le contraire quand je ne travaille pas avec mes mômes, je ne trouve aucun autre plaisir. Je m’ennuie. En même temps du m’étonnes. Pas d’enfants à la maison, pas de mec qui m’attend, qu’est-ce que je ferais seule dans mon appart ? En tout cas, j’adore mon travail, quand je ne vois pas mes filous, ils me manquent, nous apprend Mya.

— Avoir ma propre boutique m’a permis d’équilibrer vie professionnelle et vie privée. Le juste milieu, je crois que je l’ai trouvé, je vois mes enfants et mon mari, j’ai assez de temps à leur consacrer, des journées entières souvent et je fais un travail qui me passionne. Qu’est-ce que tu veux demander de plus !  

Je l’envie secrètement.

Je ne sais vraiment pas pourquoi cette nouvelle me rend aussi exaltée, mais mon amie essaie de calmer mes ardeurs. Alors que nous roulons vers le centre commercial elle me suggère de me concentrer davantage sur la route et me parle de biscottes en promo à ne pas manquer et d’éponges à acheter. De mon côté, je continue de lui agresser les oreilles en lui parlant de tout ce que cela va changer pour moi d’avoir enfin un travail.

 

- Il est quand même génial mon futur boss de me laisser une chance !

- OK ma belle, j’ai bien compris, mais tu n’es pas embauchée encore, et en plus il l’a fait parce qu’il connaît Damien. Bon, il va falloir préparer tout ça. Parce qu’honnêtement un entretien d’embauche ça se prépare un minimum. Que vas-tu lui répondre quand il va te demander : que savez-vous sur notre entreprise ? Ou bien : comment gérez-vous les situations de stress ?

- Facile ! Réponse numéro 1 : ce que je sais c’est que votre business se porte bien, vous possédez une chaîne d’hôtels de luxe dans tout le sud même à Bordeaux et vous faites un sacré chiffre d’affaires ! Et réponse numéro 2 : en situation de stress j’adopte la position du padahastasana, idéal pour chasser les tensions ! 

Quand je vois les yeux de mon amie à deux doigts de quitter leur emplacement, je pouffe et m’empresse de lui dire que c’était une plaisanterie et elle se met à rire :

- Je ne crois pas qu’adopter des positions de yoga à la réception d’un hôtel luxueux soit bien vu, mais je pense qu’il va beaucoup aimer ton humour, me précise-t-elle en roulant les yeux.

 

Je me gare sur le parking et m’extasie en passant devant une Porsche noire rutilante.

Mon amie et moi allons chercher un caddie avant de nous diriger vers l’entrée du centre commercial :

- Ça fait rêver une voiture pareille, tu n’es pas d’accord ? m’interroge Annaëlle quand nous repassons à pied devant la Porsche.

- C’est clair. C’est vraiment un beau modèle. Mais qui sait ? peut-être qu’un jour on aura le même !

- Ouais, on peut toujours y croire. En tout cas, je ne sais pas s’il est vraiment à sa place...

 

Perdue dans mes pensées, je ne sais pas où mon amie veut en venir jusqu’au moment où quelque chose me percute. Le véhicule n’est pas au bon endroit, il est garé sur une place réservée aux personnes handicapées. Je fais le tour de la voiture mais ne vois rien qui prouve que le conducteur est une personne à mobilité réduite.

 

-J’te jure, ça me fout en rogne ! Encore un sale con qui s’est garé où il n’aurait pas dû ! Tu le vois toi le macaron ? crié-je.

-Non. Il se croit tout permis. Avec toutes les places de libres, il a fallu qu’il se gare là. Il mériterait qu’on lui repeigne la portière à notre façon, qu’est-ce que tu en penses Élyna ?

Elle appuie sur chaque syllabe en pinçant les lèvres. Elle aussi est en rogne.

- J’en pense que ce serait très vilain de faire une chose pareille.

 

Au même moment une voiture habitée par un couple âgé nous observe d’un air déçu. J’en conclus qu’ils sont visiblement à la recherche d’un emplacement comme celui-ci.

Ils me croient propriétaire de la voiture. Je m’en écarte et tente de communiquer avec le couple en faisant des gestes que même moi je ne comprends pas pour leur indiquer que ce n’est pas moi l’auteur de cet incivisme. Mais ils ont déjà tracé ailleurs. Je fulmine de l’intérieur et mon côté altruiste s’en mêle : 

-Je sais à quoi tu penses et je pense que ce n’est pas bien du tout de penser ça, mais envoyer mamie et papi à Trifouilly-les-Oies pour se garer alors qu’ils peinent à marcher, ça n’est pas bien du tout ! donc je suis OK pour faire ce à quoi tu penses.

 

Mon amie me jette un regard de connivence. On est d’accord, stationner sur une place pour handicapés quand on n’a aucun handicap, ce n’est pas joli. C’est pourquoi la personne qui a fait ce mauvais choix doit comprendre qu’elle n’est pas au bon endroit. Annaëlle et moi avons une façon très spéciale, mais justifiée de faire comprendre cela à tous ceux qui commettent ce genre d’impolitesse.

La recette ? Il n’y en a pas. 

Par contre, le secret : ne jamais se faire prendre. Agir vite et se barrer encore plus vite !

 

Sauf, qu’aujourd’hui le destin ne semble pas vouloir coopérer.

Alors que je range mon trousseau de clefs (l’arme du crime) dans mon sac à main, Annaëlle finit son graffiti sur la carrosserie flambant neuve du bolide. Et il faut dire que le flanc droit du véhicule a été soigneusement et désastreusement meurtri par nos talents graphiques.

 

-Merde Élyna ! Le beau gosse en furie qui rapplique droit sur nous, tu crois que c’est lui le propriétaire de la bagnole sur laquelle on est en train de graver : ‘’ garé au mauvais endroit au mauvais moment, affectueusement, les emmerdeuses ! ‘’

Je me retourne rapidement à m’en coincer un nerf, et effectivement je vois un homme en furie avec une mine qui ne me dit rien qui vaille.

-Oups... on dirait bien...

 

Dans d’autres circonstances, j’aurais attrapé Annaëlle par le bras et je l’aurais embarquée dans ma course folle, le plus loin possible, très loin de cet homme qui se rue vers nous. 

Mais cet homme inconnu, bien qu’énervé, m’empêche de bouger la moindre cellule. 

L’excuse ? Bah… des yeux bleu-vert comme ceux qui me fixent, on n’en voit pas à chaque coin de parking.

-Putain, mais J’HALLUCINE !! Vous faites quoi à ma caisse ?!

Bon…ben… il est en pétard, fallait si attendre. Se faire prendre un jour, ça nous pendait au nez. Il faudra lui dire qu’on a fait cela par solidarité, envers des personnes âgées, ça passera mieux.

Je comprends surtout que mon empathie va me coûter cher...

 

- Bordel, ma caisse ! Vous êtes complètement folles ! Je vous jure... je vais porter plainte pour vandalisme, crache-t-il.

Annaëlle l’ausculte dans les moindres recoins. Quand il s’en aperçoit, il relève la tête et continue de vociférer en reluquant mon amie :

- Vous faites quoi, vous ? Vous voulez ma photo ? 

- Sans façon, merci. Je cherchais juste la trace d’un handicap, hormis votre cerveau, je ne vois rien d’anormal.

Bon sang, elle y va un peu fort, là.

J’ai peur que cette affaire ne se règle pas facilement. 

En plus, elle continue :

- Non, parce que vous voyez le couple âgé là-bas ? pointe-t-elle avec son doigt. Et ben, tout à l’heure ils voulaient se garer ici même, mais quand ils ont vu votre véhicule ils sont partis chercher une place ailleurs !

- Et alors ? J’en ai eu que pour une minute.

- Comment pouvaient-ils le savoir ? Et pourquoi ils auraient dû attendre après vous alors que ces places leur sont justement réservées ?

- C’est une raison pour bousiller le matériel des autres ! Sérieux ?

- Vous n’avez pas répondu à ma question, enfin peu importe, les gens comme vous essaient toujours de noyer la sardine ! C’était plus simple de reconnaître votre erreur.  En tout cas, cher monsieur, ça vous apprendra à ne pas respecter les règles !

 

Ma copine est du genre ; impulsif. Du genre ; faut pas lui chercher des poux. Des fois, c’en est gênant. Comme là par exemple. Parce que le gars avec qui elle s’engueule est carrément craquant. Je dirais même canon. Bref. Je ne peux pas incriminer mon amie, car ce caractère d’emmerdeuse incorrigible ; c’est aussi ma marque de fabrique.

Il fait le tour de la carrosserie comme si le malheureux bolide était agonisant et en train de lui crier à l’aide. Il n’y a que cet aspect là qui le contrarie apparemment. Avoir privé ce couple d’un emplacement plus accessible, lui est totalement égal.

 

Annaëlle et moi attendons de voir ce qu’il en dit et restons immobiles. Elle en profite pour le toiser et me lance des regards malicieux pour savoir ce que j’en pense. Je lui fais comprendre qu’il est beau, mais que ce n’est pas le moment de penser à ça. Moi, ce qui m’inquiète c’est le procès qui va me tomber dessus, je n’ai pas d’argent pour payer un avocat ni le temps d’aller aux assises, je suis au bord de l’apoplexie.

Ça y est, je m’emballe encore une fois. Mais c’est quand même la première fois qu’on se fait prendre la clé en main ! 

 

Je regarde le véhicule et me dis que nous n’avons pas plaisanté avec Annaëlle. Nous sommes deux adeptes d’art contemporain, c’est sûrement cette passion dévorante qui nous a encouragées à mettre en lumière nos gravures d’exceptions. Mais vu la tête du jeune homme, ça m’étonnerait qu’il le voie de cette manière.

Bizarrement, après avoir fait le tour de son bijou, c’est vers moi qu’il vient et non vers Annaëlle alors que je suis restée toute penaude, dans mon coin, sans broncher depuis tout à l’heure. C’est pourtant avec moi qu’il a décidé d’en finir :

- Bon et bien... comment va-t-on régler cette histoire ? Vous proposez quelque chose ? gronde-t-il.

- Euh...peut-être qu’on... oui, je propose qu’on règle cela à l’amiable. 

- C’est-à-dire ?

 

Ben oui, c’est-à-dire Élyna, toi qui n’as pas un sou ? me chuchote une petite voix agaçante. 

 

- Disons que... on va vous rembourser la totalité des frais, dis-je.

- Quoi !!! s’énerve tout à coup Annaëlle qui surgit et se poste entre l’homme et moi. Tu sais combien ça va nous coûter un truc pareil ? Non, non, et non ! Il va gentiment prévenir son assurance et leur expliquer qu’une femme, toi par exemple, marchait à côté du véhicule, et que soudain elle est malencontreusement tombée ! Et comme la voiture était très mal stationnée, oui ça il faut le préciser, la femme a glissé et avec son sac, elle a rayé tout le flanc droit et puis l’affaire sera réglée ! 

- Et en tombant, cette femme a réussi à graver avec minutie ‘’ garé au mauvais endroit au mauvais moment, affectueusement les emmerdeuses ‘’ ? ajouté-je.

- Je suis d’accord avec votre amie, intervient le bel homme qui me regarde d’un air un peu moins sadique.

- On avisera, ma belle. Avec ton mec qui s’est barré, les factures à payer et les gosses à nourrir, tu ne pourras jamais, mais jamais rembourser ce monsieur, me sermonne Annaëlle en abusant un tout petit peu. 

Elle me fait passer pour une femme au bord de l’épuisement voire du suicide, et ça a l’air de fonctionner.

Notre bel inconnu se rapproche de moi :

- Je suis désolé de ce qui vous arrive, je ne voulais pas vous mettre la pression avec mes histoires. Écoutez, je suis pressé, je ne peux pas discuter plus longtemps. Laissez-moi votre numéro de téléphone et je vous rappellerai prochainement pour discuter de la suite des événements, mais je vous assure que je peux être très clément, ne vous faites pas de soucis. Tout va s’arranger.

Cette empathie tout d’un coup, j’en reste coite. Annaëlle prend les devants et donne mon numéro à ma place tellement je suis sciée par la gentillesse de cet homme. Ses yeux clairs sont tellement captivants que j’en oublie mes cordes vocales. Annaëlle clôture la conversation à ma place.

- Bon voilà, c’est réglé vous avez son numéro, tenez-nous au courant. 

Ma super copine commence à tourner les talons tandis que mon bel inconnu et moi-même restons là silencieux à nous regarder. 

Je sens qu’il y a une alchimie entre nous et c’est ce qui déclenche notre mutisme.

Je remarque même un petit rictus au niveau de ses lèvres :

- Pas si vite. Je vais composer ce numéro. Primo ; parce que je veux vérifier que ce soit le bon et secundo ; vous aurez mon numéro enregistré sur votre portable également. Vous pourrez m’ajouter dans vos contacts au nom de Jason.

 

Merde, moi qui croyais avoir vu une étincelle briller entre nous, tu parles. Il ne lâche pas l’affaire. 

Pourtant j’avais cru entendre une voix plus sensuelle. Jason ne s’adresse plus à Annaëlle depuis longtemps, j’aurais juré qu’il était en train de flirter.

 

Flirter avec toi ? Tu rêves ma vieille, tu viens de flinguer son petit bijou.

 

- Je vais le noter de suite, réponds-je timidement et honteuse d’avoir fabulé.

Mais qu’est-ce qui m’arrive nom d’une pipe ! 

Pourquoi j’ai subitement les jambes qui vacillent ? Ce n’est quand même pas la peur de me retrouver avec un procès aux fesses ? 

Non. 

Ce n’est pas ça, car Jason est plutôt complaisant et chercherait presque à adoucir le contexte. Je crois qu’il cherche une solution pour m’épargner les ennuis. Ce qui me déclenche ce trouble ; c’est lui, sa beauté, son charisme époustouflant. 

- Et je peux connaître le vôtre ? demande-t-il avec un sourire éclatant.

 

Et là, je fabule peut-être ? demandé-je menaçante à ma conscience qui me nargue.

 

- Élyna, fais-je. 

- Et bien Élyna, dans d’autres circonstances je vous aurai dit enchanté. Mais vu la situation je me contenterai d’un à très bientôt.

 

À très bientôt… Zut… pour me soutirer de l’argent, ou juste revoir mon beau sourire ?

Non parce que là, ça devient étrange. Je n’arrive pas à savoir si je dois m’inquiéter ou non. 

Il fait demi-tour, grimpe dans sa Porsche tandis que je reste plantée là au beau milieu du parking à me demander si c’était un sourire sardonique ou compatissant qui s’est dessiné sur ses jolies lèvres… 

 

                                                                           ***

 

Annaëlle et moi entrons dans le magasin.

- Je rêve ou il t’a carrément draguée ?

L’entendre dire cette phrase me rassure, car j’avais eu le même effet mais je préfère rester sur ma réserve. 

- Sa voiture entière est tailladée à cause de moi alors, je ne crois pas ! À mon avis, je lui ai fait pitié. Il m’a trouvée tellement misérable qu’il n’a pas voulu en rajouter. Surtout quand tu lui as dit que j’étais à la rue.

- Je ne l’ai pas dit comme ça, n’exagère pas. Je lui ai fait comprendre que ça n’allait pas tarder s’il te faisait payer les dégâts, nuance ! De toute façon, c’est clair il n’a pas eu de peine pour toi, c’était une ruse, monsieur a profité de la situation pour obtenir des informations cruciales. Après tout on ne le connaît pas, si ça se trouve c’est un tueur en série spécialisé dans le piratage informatique maintenant qu’il a ton numéro, il va retrouver ton adresse et te harceler !! Donc ce soir, je dors chez toi. 

- Tu es complètement dingue ma pauvre amie ! Ce mec a l’air plutôt clean. 

- Mais ils le sont tous au début. C’est dans son intérêt d’en donner l’illusion. Il te met en confiance comme ça tu seras une proie plus facile à approcher. 

J’avais oublié à quel point ma super copine pouvait être parano.

Nous commençons à nous immerger dans les étals de fruits et légumes avant de sillonner les autres rayons. 

 

Un caddie plein plus tard, nous repartons à la maison, Annaëlle n’a toujours pas lâché l’affaire sur le tueur en série et décide de rester dormir à la maison. Je croyais qu’elle plaisantait sur le sujet, et qu’elle finirait par parler d’autre chose, mais cela s’éternise même pendant la soirée.

 

Les enfants, eux, se font une joie d’avoir une invitée surprise. Mes filles et Salomé sont si complices que c’est adorable à voir. Je suis contente pour Roxanne qui a absorbé mon stress ces temps-ci. J’ai beau essayer de tout faire pour que cela ne se voie pas, les enfants sont tellement perceptibles qu’il est difficile de faire croire que tout va bien quand ce n’est pas le cas.

Je regarde Roxanne, Alicia et Salomé gracieuses et innocentes dans l’entrebâillement de la porte en train de jouer à la poupée en toute confiance.

Je souris en pensant à mon enfance où moi aussi je me sentais protégée et à l’abri. C’était chouette, je n’avais pas à affronter les problèmes d’adultes et la dérive...

Je tapote doucement sur la porte pour annoncer mon entrée et souhaite une bonne nuit aux filles en leur demandant de ne pas se coucher trop tard.

 

                                                                              ***

Je referme derrière lui et m’appuie contre la porte un instant en contemplant le salon sourire béat ; je suis fière d’être aussi importante à ses yeux. Si une relation plus qu’amicale n’est pas envisageable, notre amitié, elle, ne s’effacera pas de si tôt. Et c’est peut-être beaucoup mieux ainsi. Je pars du principe qu’il n’y a aucune femme au monde qui pourra briser ce lien entre lui et moi. Et ça me suffit.

Je vais à la cuisine ouvrir une bouteille de vin rouge. Je remplis mon verre puis m’apprête à quitter la pièce quand me vient, tout à coup, l’envie de prendre la bouteille entière. 

J’ai envie de décompresser. Comme Alice, je bois une gorgée en mettant de la musique.  

​

Je m’assois un instant sur le canapé en appuyant ma tête sur le dossier et écoute une chanson en ne pensant à rien. Je me vide l’esprit et me sens légère.

Je n’ai pas l’habitude de boire et les quelques gorgées de vin englouties assez rapidement me montent déjà à la tête. Des bouffées de chaleur et une humeur festive, voire un peu euphorique, se sont invitées dans mon esprit. 

​

Dans cet élan, je vais chercher mes affaires coquines cachées sous le lit et je commence par enfiler ma tenue d’écolière suivie de mes escarpins. Je retourne au salon et ferme les rideaux. Je ne veux pas que mes voisins de l’immeuble d’en face me voient.

J’allume une lampe de chevet pour plus d’érotisme et quelques bougies. Désormais dans l’obscurité, je bois encore plusieurs gorgées pour mettre dans l’ambiance.

 Mon verre fini je le mets de côté pour entamer la bouteille. Voilà. J’ai chaud, et j’ai même envie de sourire à ma plante verte. Je me sens bien et décontractée.

Je monte le volume du poste et prends le chemin de la salle de bain pour passer au maquillage. Devant le miroir je me regarde et remue les hanches tout en prenant mon blush pour me tartiner le visage, j’applique ensuite du fard à paupières, du crayon noir pour souligner mes yeux verts, un peu de gloss couleur cerise et je repars au salon.

​

Je me tourne à moitié devant le miroir pour regarder le résultat final notamment mes fesses rebondies, en me penchant légèrement en avant pour me rendre compte à quel point cette mini-jupe est courte.  

Le fait de porter cette tenue me redonne confiance. Je me trouve belle, séduisante et sexy. 

Je danse et souris. J’ai envie de m’amuser. Personne ne pourra me surprendre et me juger sur ma tenue extravagante. 

J’imagine une scène érotique. J’aime cette sensation de liberté que me procure le vin. Je crois que je déraille un peu mais après tout je ne fais rien de mal. La musique m’aide à me déconnecter du monde réel et me transporte dans un monde libertin où tout est permis, et où personne ne fait attention à mes quelques kilos en trop. Je repense à Alice qui est devenue comme une amie virtuelle ces derniers temps. Elle ose et elle m’encourage à l’imiter. Je partage, avec ce roman, la vie d’une femme en manque d’amour et à la recherche d’une vie plus excitante. 

​

La bouteille à la main je continue de danser en faisant des mouvements aussi lents que possible en imaginant un public enthousiaste devant moi. Avec ma main gauche, je caresse ma poitrine, rejoints mes hanches qui ne cessent de remuer au rythme du son puis je descends vers les cuisses. 

Ils adorent ça, me regardent et m’adulent, les courbes voluptueuses de mon corps les obsèdent. Je relève mes cheveux avec une main, bougent la tête de droite à gauche lentement en fermant les yeux, puis dessine des cercles avec mes fesses tout en douceur et sensuellement. 

Je m’allonge sur le canapé. J’ai la tête qui tourne, ce vin est un peu fort. Il faut que je me relève et évacue l’alcool en dansant parce que rester assise ne fait qu’augmenter cette sensation de tournis. 

 

                                                                                ***

 

Les minutes posées sur le canapé ont en fait été des heures et je n’ai rien vu passer ! Apparemment je ne me suis pas relevée. Je regarde autour de moi et ne comprends pas trop ce qui m’arrive. J’ai la tête en vrac ! 

On frappe à la porte, je regarde la pendule et je n’arrive pas à croire qu’il est 20H00, et qu’en fait je me suis endormie. 

Oups Dylan est là !

— Lili ! C’est moi, tu m’ouvres !?

Je ne peux pas faire ça dans cette tenue ni maquillée comme ça, il va penser que j’ai carrément disjoncté. C’est d’ailleurs le cas.

 

Merde, merde, merde, que faire ?

 

Je suis paniquée, je regarde autour le désordre qui envahit le salon et comme une vraie alcoolo je m’aperçois que des bières traînent. 
 

Je ne bois jamais de bières ! Qu’est-ce qui m’a pris ?

 

Il y en a une sur la table, une autre par terre et même sur le canapé. Je n’ai pas eu le temps de tout compter mais j’en vois approximativement quatre à l’horizon. Je n’arrive pas à croire que j’en ai bu autant. Ça ne me ressemble pas du tout.

Je ramasse mes vêtements pour me changer rapidement mais je n’ai pas le temps de déboutonner mon haut que je reste paralysée quand j’entends la clé tourner dans la serrure.

​

La porte s’ouvre et Dylan apparaît, là devant moi !

— Lili, pourquoi tu ne m’as pas ouvert ? Je croyais qu’il t’était arrivé quelque chose.

Il se tait net, ferme et rouvre les yeux comme s’il essayait  de contrer sa vision. Quand je le vois ouvrir les paupières en grand, je comprends alors qu’il est en pleine hallucination. Du moins, c’est ce qu’il doit croire. Il émet un petit son mais ne parvient pas à dire plus. À mon avis, il réalise ce qu’il vient de se passer et essaie d’encaisser le choc comme il peut. 

      — Putain, mais c’est quoi cette tenue !?

Il s’avance tandis que je reste sans voix et positionne les bras devant le long de mon corps pour cacher ma nudité. Et je me rappelle soudain que je n’ai pas mis de culotte ! 

 — Sérieux, Lili, qu’est-ce que tu fous habillée comme ça ? Tu comptes aller au restau avec cette tenue ?

C’est la honte de ma vie, mais en même temps, je me sens bizarre, vaseuse…que cela me fait vite oublier la situation dans laquelle je me suis fourrée.

— Non, j’allais me changer, dis-je tout naturellement d’une voix presque inaudible.

— Mais pourquoi tu n’es pas encore prête ? 

— Parce que je me suis endormie.

Il regarde autour, s’approche du canapé et ramasse une bouteille de bière vide :

— Tu as invité du monde ?

Je réponds instantanément :

— Non !

— C’est toi qui as bu toutes ces bières peut-être ? 

— Oui !

​

Il a un regard désarmant quand il devient sérieux et quand il fronce les sourcils. J’ai envie de lui sauter dessus et de l’embrasser. Il est tellement sexy. Il porte une chemise blanche sur laquelle les doublures sont noires, un jean et des converses. 

J’aime quand il prend cet air sérieux, ce n’est pas possible d’être aussi beau, il me fait complètement craquer. Je m’approche de lui et lui prends le bras que je dirige sur mes fesses et l’embrasse sans penser aux conséquences. Je me serre contre son corps, j’ai trop envie de lui. Il ne me repousse pas pendant quelques secondes mais malheureusement, il comprend que cela n’est pas normal. Que je ne suis pas normale.

​

— Qu’est-ce que tu fais ? me morigène-t-il en s’écartant. 

Tant pis. Je lui tourne le dos et m’avance dans la chambre mais il saisit mon bras.

— Tu vas me dire ce qui se passe !!

Sa voix a doublé de volume. Je n’aime pas le voir s’énerver mais il sait parfaitement que je lui cache quelque chose alors il essaiera coûte que coûte d’en savoir plus. 

Je me sens bizarre.

— Dylan, je voulais juste essayer quelques affaires.

Je parle comme Alice. Je me justifie comme elle avec Mathieu. 

Dylan fronce encore les sourcils et me regarde d’un air sombre.

— Liliane pourquoi t’es maquillée comme ça, on dirait une traînée !

Il est très énervé car il m’a appelé Liliane et non par mon petit nom habituel. Quand il est en colère après moi, il en oublie mon surnom. 

Je n’aime pas vraiment la tournure que prend cette conversation.

— Je ne suis pas habillée comme une traînée mais comme une écolière ! 

Cette réponse semble étrange, peut-être même ridicule, j’aurais dû me taire.

Il rit à gorge déployée :

— Mais t’as carrément pété les plombs ! Tu t’entends bordel ?

Je tourne les talons mais il me retient encore :

— Tu te fous de moi, pourquoi tu as acheté cette tenue ? Et les bières, c’est quoi tout ça ?

Il s’approche plus près :

— Tu es saoule Liliane, tu sens l’alcool à plein nez. Merde qu’est-ce que t’as foutu !!!

— Hé oh, hé oh ! On se calme jeune homme ! grimacé-je en perdant l’équilibre. Je ne suis pas saoule !

 

Enfin si, je le suis, un peu quoi. Et puis zut, je fais ce que je veux ! 

 

Mes talons sont tellement hauts qu’ils me font tituber, je n’ai pas l’habitude d’en porter, et l’alcool aidant, je me rattrape de justesse au dossier du canapé. 

Berk, j’ai comme des nausées. 

— Non mais sérieux, tu ne tiens même plus debout ?! J’hallucine ! s’horrifie Dylan.

— Ça va, ça va je vais bien ! Super bien d’ailleurs !

Il m’oblige à m’asseoir sur le canapé et s’écarte de moi le temps d’aller éteindre la musique. Mes yeux le suivent, je regarde un peu dans le vide mais j’aperçois tout près de la chaîne hi-fi une bouteille de Vodka. J’espère que je n’ai pas fait ça.

Boire quelques bières et du vin alors que je n’ai pas l’habitude, c’est déjà très nul mais si j’ai bu en plus de la Vodka, eh ben là, ça craint vraiment car le mélange va certainement me rendre très malade. Je comprends d’où viennent mes nausées. Pourtant je n’en ai pas bu beaucoup, la bouteille est quasi pleine.

Dylan revient vers moi, et à part le regarder s’avancer en restant bêtement assise, je ne peux rien faire d’autre. L’alcool paralyse mes neurones.

— Comment tu te sens ? s’inquiète-t-il en s’assoyant près de moi. 

— Ah ! Tu ne m’engueules plus, tiens donc ! 

Cette petite remarque ne le fait pas rire, du tout.

— Arrête tes conneries Liliane, comment te sens-tu ?

— Mmm, réponds-je en haussant les épaules. 

— Super. Et ça veut dire quoi ; mmm !? Tu as envie de vomir ? La tête qui tourne ? Tu t’es droguée ? 

— Non, j’ai juste voulu goûter à l’alcool, tu le fais bien toi et je ne te dis jamais rien !

— Ouais mais quand je le fais, je ne me mets pas aussi minable que toi.

Alors là, il m’agace.

Je me lève d’un bond pour aller m’enfermer dans la chambre comme une enfant gâtée que l’on a disputée.

— Je suis chez moi, je me mets minable si je veux ! Je ne fais de mal à personne et d’ailleurs où tu as eu mes clés !?

J’ai la tête qui tourbillonne.

— Ça va ? 

Il se lève aussitôt du canapé pour me retenir avant que je ne m’étale au sol. Il pose délicatement ses mains autour de mes hanches et m’aide à me rasseoir.

— Reste assise. J’ai tes clés depuis des années Liliane ! C’est toi qui m’as confié ton double, s’époumone-t-il.

Je l’observe et me noie dans son regard. 

— Ah oui… j’avais oublié.

— Dis-moi ce qui s’est passé ? Tu me fais flipper. Ça ne te ressemble pas…

Il se radoucit enfin.

​

Tout à coup, je me sens idiote. Je ne sais pas à quoi j’ai voulu jouer, c’est tellement pathétique d’avoir voulu imiter un personnage qui n’existe pas.

Je ne réponds pas et essaie de me reprendre en me disant que demain tout sera oublié. Et s’il le faut, je jetterai ce bouquin pour ne pas être tentée de connaître la suite des aventures d’Alice. Parce que là, elle est en train de me faire passer un sale quart d’heure.

— Je suis désolée, Dylan. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je vais me reposer et on va oublier tout ça d’accord ?

Il pose sa main sur ma tête pour la ramener en douceur sur son épaule.

— Ne t’inquiète pas Lili, excuse-moi de m’énerver mais tu sais que je tiens à toi. Tu es la personne la plus stable et honnête que je connaisse. Mon père rentrait bourré tous les soirs à la maison et te voir, toi, dans cet état, toi qui es si pure et innocente et bien, ça me fait de la peine…

Je lève la tête et l’embrasse sur la joue. Ses paroles me touchent mais malheureusement mon cerveau ne fonctionne plus et la seconde d’après je ne me souviens plus de ce qu’il m’a dit.

Il me regarde et sourit :

— Tu vois, tout le monde peut faire des écarts dans la vie, même toi super Lili qui te conduit toujours comme une enfant modèle !

Il enlève mes escarpins et m’aide à m’allonger sur le canapé. Il prend le plaid posé juste au-dessus et me couvre en déposant un baiser sur mon front :

— Je repasserai demain matin, repose-toi bien.

Je m’endors rapidement.

 

                                                                                 ***

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